"The geometric interpretation of the Bragg diffraction."
De ses mains caressantes, maladroites et tendres qui avaient tant fait frémir les cuisses d’Iléna,
Sender parcourait "The geometric interpretation of the Bragg diffraction".
Son patron, rien pompé ! On avait extrait la balle 9mm Makarov/Russe des pages impactées sur
la plage arrière de la voiture, et puis le bouquin lui avait été remis.
En quoi ça pouvait l’intéresser, la petite, ce truc imbuvable, qui retraçait toute la genèse du cristal,
et fournissait, notamment, les différentes équations qui régissaient la structure du diamant.
Une fois de plus, son ego en prenait un coup. Trop souvent absent, loin, elle lui échappait.
Soudain, il se rappela qu’il avait vu traîner un truc similaire, un truc qui parlait “ cristal ”, sur l’une
des tablettes de sa chambre. Un jour, où il lui avait accordé son après-midi, et, que le rythme du
temps les avait extraits du quotidien, pour les déposer au plus aigu de leur intimité.
C’était le miroir, je crois, l’immense miroir qui leur renvoyait l’image de leurs deux corps excités,
et qui faisait d’eux, là, dans la lumière basse de la pièce, un couple d’une mobilité souveraine
et belle.
Les faux cheveux d’Iléna avaient illuminé ses yeux d’un éclair de paradis.
Qu’est-ce qu’elle en avait usé du rouge, sur cette bouche venimeuse et chaude où ses mots
balbutiaient ! Des
“encore”, des .....
Et
-Oui …! ! !"
qu’il soufflait, sur “ Folie de grenat ”, “ Sequin ruby ”, “ Dating rouge ” !
Identité texture, pour ourler ses lèvres d’un autre type de plaisir !
Aïe ! Sender !
“ L’aire-cristal ”. Le titre lui revenait, flou, avec les gémissements rauques d’Iléna, quand
il s’appliquait à la parcourir de ses coups de reins, chaque fois plus forts et intenses, évitant
de se cogner à l’une des étagères branlantes de bouquins, où fumait encore une tasse à café !
L’espace était petit, merde, ça y est ! Elle venait ?
"- Ohhhhhhhh! Ouiiiiiiii !"
En tout cas, c’était ça, là, qu’était tout près, quand il la parcourrait, rythmiquement rage,
dans la posture la plus commune aux couples en guinguette !
Milieu foin ! Milieu herbe ! Milieu drap ! Milieu nuit !…
-"Ohhhhhhhhhhhh ! Ouiiiiiiii !"
Position missionnaire !
“ Z’en … ” !
Non ?
Mais, Iléna, là, elle s’y perdait ! Le souffle de son amant, le parfum qu’elle léchait sur ses épaules,
la petite tâche de lumière qui se logeait, là, sur sa peau blanche et tendre, elle divaguait !
"Ohhhhhhh ! Oh ! Ahhhhhhh ! Ah ! …"
D’une tout autre manière, que lorsqu’elle s’appliquait à dépiauter, pour son directeur de thèse
à l’université, les élucubrations de l'individu par phases ! Pas compliqué ! Tout juste alambiqué
le truc !
Lui aussi, le prof ! Voulu se la faire, pardi ! Tout en dérivant autour de la question urgente
de l’identité ! Esquivé, c’est sûr ! Elle l’avait laissé la main branlante, pour pas dire autre chose !
Pas d’la porte ! Quittant l’appart “ruelapentenbiais” ! Où il avait tenté l’y baiser !
Et là, maintenant, Sender, en parcourant les pages, entendait, écoutait, dans les volutes absentes
des aérateurs de la clim, les va et vient de l’atmosphère fouettée par les parois de l’ascenseur,
les traces de voluptés qu’Iléna avait laissées entre ses cuisses.
Ses yeux, rivés au loin, se perdaient sur un ciel bleu fumasse, une éclaircie blanche,
vaporeuse couvrant les immenses édifices de la périphérie de Paris, aux portes de Bercy.
D’autres volets venaient se superposer, doux, chauds, la petite veine au coin de l’œil de sa maîtresse,
la finesse de la liaison entre le mollet et le genou, sa peau transparente et blanche, la boucle
de cheveu synthétique qui caressait son ventre quand, en délicatesse, elle le léchait.
Et soudain, il se rappela du contenu des mails au début, quand elle lui parlait du temps,
qu’en philosophe, elle inspectait, et, dans lequel en imagination, chaque soir de leur échange,
elle le couchait. Ce sont ces instants, ces bouts de temps, que Lyot, en ardence, avait cyanuré de Bleu.
Où qu’elle l’entraînait, qu’est-ce qu’elle cherchait à lui dire au travers ?
Lui parler du cristallin. Dans la silice informatique des messages, inconnue encore ! Elle le liait au
cristallin !
Cristallin de tes yeux, mon âme quand, en désir, je les rends chat, et qu’en tes rêves, je dispose,
sous le souffle des grands arbres, une plaie d’amour qui m’excise de toi, jusqu’à mourir matin,
tout au fond de ta chair, tout au fond de tes reins…
De ce temps, dans lequel, donc, amoureusement, ils se mouvaient, dans lequel, l’un vers l’autre,
par phases, ils grandissaient, à chaque coup de désir, de refus, de rejet, d’appels, de pardons,
de heurts, de coups de douloureux, que leur histoire leur infligeait.
Ah ! ça vous en bouche un coin, hein ? Où qu’on va, là ? Dans tout ce vrac ?
Sender ! Nouveau !
Principe d’immanence ! Lyot ! Interaction quantique, rapide, féline qui réintroduisait l’arbitraire au
sein de son devenir ! Devenu ! Monsieur ! Instant de désir et d’ardeurs fulgurantes, prégnantes,
sans épaisseur, sans extensions !
Ô Sender ! Toi ! Montée persistante, entre passé et futur, pour dérober à l’heure présente, toute
suprématie !
Sender ! Une rageuse fêlure de surface qui s’engouffre au cerveau ! Incorporelle, excessive !
Et qui hante l’instant, sans le combler ! Et tourne ! Et vire ! Tout en voltige, que tu la mets !
Jusqu’à provoquer, en elle, Léna, aïe ! Une irrémédiable puissance d’émotions, un jet de sang et
de chair alarmée, qui transcende, là, cru, son vécu et réordonne d’un coup, le continuum empirique
de sa vie !
Sender ! Lyot ! Comme une aiguille, une broche qui la transperce d’un feu incandescent pour la
projeter, hagarde, sur la tranche vive du réel.
"Oh ! Viens ! Toi !"
comme un intrus dans son métastable, une instance mineure qui tente fourrager dans le vif de
son être !
T’entends ! Un cynisme ! Ouais ! Un cynisme qui va jusqu’à s’immiscer ! Là. Profond ! Et la
détourner vers en un nouvel équilibre à trouver !
Sender ! Avec toi ! Chaque minute, près de toi ! Cette voix fine, pour la larder d’envie de toi !
Iléna ! Elle ! Paf ! Pouf ! Vlaaaaaaaaaack ! Elle reballe ! Seule ! Immensément, seule ! Elle s’assomme !
Se cogne ! Contre toutes ces forces d’isolations, de dissipations, de déformations, qui la submergent !
La frustrent de toi !
Eh ! Toi ! Espace intensif où elle se démène ! Avec, seule illusion, toi !
Oh ! Toi ! Te garder ! Toi ! Te suivre, te pas quitter ! Toi ! Se lier, ô, y perdre toute identité !
Glisser dans la tienne ô suprême ravissement ! En récréer une autre ! Celle, avec ! Celle, de toi !
Celle, ô mon amour ! Que j’aime ! Que j’attends !
Que j’espère ! Celle, que chaque femme cherche quand elle se scelle au doigt !
Anneau d’or !
Sender !
Sur sa bouche buveur café, elle cueillait ! Anneau d’or ! Comme multiples globules, où,
l’espace s’incendiait ! Respirations ! Sender ! Comme une musicale ! Oui, une musicale !
Tam ! Tadam ! Qui les entraînait loin, très loin, des supplications contingentes de l’être !
Et ces forces ! Tam ! Tadam ! Tam ! Tadam ! Dans lesquelles tous nos cris, encore, parfois,
résonnent ! Ne sont plus que celles… !
Oh ! Non !
Vous les reconnaissez ? N’est-ce pas ?
Vous les reconnaissez ?
Ce sont celles… !
Horreur ! Non ! Oh !
Merde Sister, nonnnnnnnnnn ! Sister, nonnnnnnnnn !!
Celles, manifestement attractives et cruelles de la Mort !
Alors, comme on voudrait, nous, animaux à plumes, petits poussins, nouveaux venus batraciens,
s’accrocher à cet instant où le temps s’effondre, pour lui donner le goût d’une bouche, le mouvement
d’une main, la chaleur rassurante d’une peau !
Mais non ! c’est froid ! glacial ! le déroulement de Chronos qui nous aspire !
Froid ! Glacial !
Comme un serpent géant qui nous engloutit d’une boucle de temps vers l’autre.
Alors Matrix !
Non, là, minute, je quitte Sender …
Brûlures ! Déchirements !
Mais, alors là Matrix ! Va, tu peux aller te rhabiller ! Un peu neuneu, le scénario du millénaire ! !
De la merde en foire, pour distraire, quatre emplumés du vidéo gag !
Des pifs ! Des pafs d’opérette !
Du grand guignol, pour monter ventes jeux vidéos, gadgets !
La vie, c’est autre chose !
C’est vrai, à chaque phase du vécu, on change d’espace intensif, c’est vrai !
Y a épreuves, combats, forces mal et bien !
Mais attention ! La territorialité est autrement vive ! Incisive !
Autrement conjuguée, que sur les touches d’un clavier de cinéma monté !
Sister rôde ! Sister rôde ! La vraie ! La vraie !
"Lyot Sender". Paris. 2013.
1/ Le combat baptisé "Le massacre de la St Valentin".
Photo Agence France Presse. Chicago, 24 février 1951.
Sugar Ray Robinson contre Jake LaMotta.
En jeu, le titre de Champion du Monde.
2/ "Rumble in the jungle", bagarre dans la jungle ou "le combat du siècle".
Le KO infligé par Mohamed Ali à George Foreman en 1974 à Kinshasa où "The greatest" récupère le titre de
champion du monde des lourds dont il avait été déchu en 1967, pour avoir refusé d'aller faire la guerre au Vietnam.
Le victoire la plus emblématique de sa carrière.
3/ Mohamed Ali.
un léger mouvement de peine pour : victime de la maladie de Parkinson.
BORRADA
Parler de Gina Lola Benzina c'est parler d'une figure née avec la scène punk/cold wave qui a agité l’underground français dans les années 70-80. Lever le voile sur une femme à la personnalité fragmentée, fragmentaire, qui apparaît avec le surgissement de la musique rock industrielle, dans un contexte qui tente d'alarmer sur les violences politiques, économiques et sociales.
Fragmentée, fragmentaire, c'est aussi celle dont on retrouve les traces et facettes sur les photogrammes kaleidoscopés d’un film de super 8 , sélectionnée à Cannes : "Coeur Bleu" de Gérard Courant (1980)
Tout part d’un point phosphoreux, une étincelle image, qui à l’exemple de la petite fille aux allumettes, construit un ensemble d’individualités sur un fragment vocal oublié. Un nom qui résonne comme un envol. Lola !
Ce nom, elle le choisit lorsqu'elle intègre le groupe de rock français MKB Fraction provisoire.
Formé en 1977, le groupe se produit intempestivement dans des amphis de facs, puis essaime la région, dans les différents Palace de Toulouse, Montpellier,... jusqu’à Paris, : le squat de Palikao, la scène de la Mutualité , la Fondation des Artistes, Hôtel Salomon de Rothschild, (dite Berryer), rejoignant ainsi la mouvance de la scène alternative punk : Berrurier Noir, Lucrate Milk, Jadwio...
D’entrée, MKB crée son propre label, enregistre ses premiers vinyles de manière artisanale auto produite : 45tr, 33tr, avant l’arrivée des gravures laser. C'est une prise de racines, un estampillage d'une identité dans le mouvement du punk frenchy.
Son groupe s'inspire du mouvement dadaïste, de la scène de Manchester et Sheffield.
Ses synthétiseurs Moog adopteront les harmoniques de drones électroniques distordus .
La première pochette sous plastique transparent, sera estampillée à la main avec le tampon du logo de Messageros Killers Boys, soit "MKB Fraction Provisoire", en référence au groupe dissident de la Bande à Baader.
A l'exemple des pionniers de la dissidence anglaise, les performances sur scène seront accompagnés d' échantillons d'images pré-enregistrées sur bande vidéos, procédé Betamax/Sony, inscrivant une esthétique transgressive et conflictuelle, avec l'utilisation intensive d'images visuelles dérangeantes orchestrées sur une manipulation du son. Des créations influencées par les œuvres de W.S Burroughs et Brion Gysin. Guy Debord et Raoul Vaneigem ne sont pas loin.
Le groupe sortira plusieurs albums, notamment en collaboration avec Lucrate Milk, les compagnons de scène alternative à Palikao.
C'est le début des radios libres, de La revue Actuel, l'ouverture du Palace….
Le but est de convoquer les contradictions et les révoltes d'une génération qui cherche à implanter un langage, une continuité propre, à ce que fût le mouvement dadaïste, la poésie lettriste du début des années 20, reprendre les revendications des Situationnistes et de la Beat Génération américaine. Dénoncer la société du contrôle, s’inscrire dans les battements magiques ou sorciers d'une revenance indienne.
MKB ce sera aussi, la musique d’un film : "L'affaire des divisions Morituri", ( séléctionné au festival de Cannes 1984) de son compagnon de l'époque FJ Ossang où elle jouera le rôle de la flamine Allia celle qui incarne , selon le mot de ce dernier " le principe femelle".
Morituri : ceux qui sont appelés à mourir.
Ce nom, Gina Lola Benzina, elle le doit à un passé très ancré dans une modulation de Paramount.
C'est une jeune femme mince, effacée, férue de littérature et passionnée de langage cinéma, qui ne possédant nullement les formes de l'égérie Gina Lollobrigida, tente par la provocation de ce pseudonyme, de rallier les images qui ont alimenté les références féminines de son jeune âge.
Sur scène, elle se baptise donc «baby» d’une « messageros killers B», et s’impose en régentant les touches de son clavier Moog, saturant les amplis des résonances Messersmitt.
Premieres frappes d’une écrit sonore.
Benzina, c’est la matière, le carburant.
«God Save the Queen» des Sex Pistols ne quitte pas le diamant de la platine.
Nous sommes en 1977.
Elle se veut "Queen",
mais ...
S’individualiser, se réinventer après les douloureuses transformations de l’adolescence, glisser les pieds en talons hauts, intégrer le processus physiologique d’être femme, quand on a à peine vingt ans ?
L’identité palpite, le ressort se tend, oscille autour des figures membres de ses racines familiales qui ne sont ni plus ni moins que les funambules et trapézistes Renata et Anita, ses tantes maternelles, blondes, peroxydées, admiratrices de Marilyn et de Bardot.
Gina est brune. Il faut s’inscrire en
Faux.
Semblant,
qui dans le col cygne de leurs costumes d’apparat, puise le magnétisme, le processus qui comme un dérivatif chimique conduira son corps à traverser le fil du devenir.
Car Gina Lola Benzina, ou Lydie Canga est née sous les auspices d'un mariage de funambules, immortalisé par le grand photographe Jean Dieuzaide, sur la place principale, d’une ville de province : Le Capitole. Toulouse. C’était en 1955.
Elle choisit l’année qui suit. Le 5.5.1956.
Substance qui hantera un autre long métrage de son compagnon intitulé "Le Trésor de Iles Iles chiennes" (1990) où son synthé continue de marteler les ondes pandémiques.
le Z (Zelda) 5.5.
L C V. "Borrada" . Intro. 06. 2021
Sarah Moon. Le petit chaperon noir.
Il y a un langage femme. Un balbutiement frénétique et ardent qui veut se porter à dire, hors des normes langagières et écrites que l'homme a imposées. Il y a longtemps, très longtemps, pour envoyer un manuscrit à un éditeur, une femme empruntait un nom masculin, Brontë, Sand... Dans ses créations cinématographiques, Sarah Moon porte à l'écran, cette agitation d'être femme, cette difficulté, ces craintes, cette prédation inlassablement subie de la part du mâle, comme des griffures d'oiseaux, des coups de becs sublimes pour échapper à la cage que ce membre masculin quand il œuvre en pulsions in-contenues, nous gifle en bordures de chair. Sarah Moon triomphe, crie, nous montre la voie par laquelle échapper. A nous de rendre la pareille, à nous de continuer... Au travers de montages d' images : nos rêves, nos traumatismes, nos paroles contenues.
Image :" Le petit chaperon noir". Sarah Moon.
Paris, Musée d'art moderne. 0ctobre, 2020
"Tu te prends pour qui ?"
Elle pousse la porte, entre avec un plateau sur lequel est posé le matériel médical.
Elle a frappé discrètement, je viens à peine de me réveiller. Les yeux engourdis, l'haleine pâteuse, je n'aime pas qu'on s'approche de moi.
Mais elle sourit, intrusive, pas velours, elle sourit.
C'est pour le bien de son fils.
Pendant qu'elle serre l'élastique, qu'elle pique l'aiguille dans ma veine.
C'est pour le bien de son fils.
Songez l'église, vous l'avez tant négligé, le sacrement.
Il est question d'âme.
De l'âme de son fils.
Du regard aussi . Dans la maison.
Les employés. Je ne suis pas de la famille.
Mon sang goutte dans de petits flacons.
Chaque fois que j'accepte de venir dans cette maison.
Elle l'analyse ensuite, dans son laboratoire. Le monde qui circule dans mes veines, qui irrigue mon cœur.
Il monte une odeur d'éther, il est glacial au creux de mon coude.
Il monte une odeur d'éther.
Le même, que celui qui rôde autour de ses lèvres quand il m'embrasse.
"Tu veux bien te suicider avec moi ?"
Le pont, la nuit, nous nous séparons. Je rentre, j'escale le lit à sept draps que m'a réservé ma grand-mère. Il y a comme un petit pois.
Le pont, la nuit, les eaux du canal. Les mots ont cueilli les flots.
J'ai pas osé : "Pourquoi ?"
Dans les pages qu'il déroule sous mes yeux, des pages blanches marquées de l'encre de ses mots, se dessinent des veines tranchées. Elle se nomme Soledienne, elle est nue dans une baignoire. Nue, dans une baignoire à Berlin, l'eau est inondée.
De sang.
Elle se nomme Soledienne.
"Tu veux venir avec moi ?".
Le spectre est sur les murs de la maison.
Le spectre est entre les pages du livre qui écarte ses lignes en éventails.
Le spectre est décharné.
"Tu veux venir avec moi ?".
J'écoute bruisser le satin de ma robe qui se froisse à mes genoux.
Mes mains secouent l'étoffe, pour éloigner la présence qui s'éveille.
Mes pieds qui ont appris à rire, à courir, à danser, veulent gagner la danse qui déchire la mort.
La danse qui écarte les plaintes.
La danse qui hisse son rythme sur un fil coloré qui pend dans le ciel.
Mais, l'air se martèle soudain des touches de sa machine à écrire, qui captent le fantôme qu'il veut fuir.
Un disque tourne. Talking Heads. Psycho Killer.
Des perles, qui ne soient pas des perles de sang.
Un ciel, qui ne soit pas alourdi de présage.
Sous la table du salon, je me suis habillée pour le déjeuner.
Sous la table du salon, il y a une sonnette.
Elle appuie de son pied.
Entre une fille de ferme qui vient desservir le déjeuner.
Il allume une cigarette, qui parfume le café.
Un silence.
"Vous n'êtes pas de la famille, vous savez ?"
Je le regarde.
Il baisse les yeux.
Il ne dira pas. L'enfant dont il n'a pas voulu.
Lui non plus, sans sacrement.
Rendu aux lointains des vallons enragés de pluie. Lui éviter le monde des petits lapins en cage de laboratoire, que cette femme asphyxiait sous l'éther.
Alors, il se serrait contre elle, le petit garçon qui la regardait. Il se serrait contre elle, lourde des hanches, trapue des joues éclatées de couperose, fermée de lèvres fines qui tranchaient . Qui tranchaient tout.
"Elle est là haut, vous la voyez ?"
Sur la dernière étagère au sixième, loin des doigts. Le livre des sacrements.
"Il faudra que vos l'appreniez ."
Dans mon ventre vide désormais, j'inscris des notes, j'inscris mon chant.
La plainte.
Le silence.
Longtemps, le silence.
La seule fois où j'ai parlé, c'était dans des mots étrangers, à un étranger.
"Tu lui a dis quoi ?"
Rien.
Le cloisonnement dans lequel tu m'inscris, la pierre sous laquelle tu m'étouffes, rien.
Derrière. Et cette question qui me fait perdre pied quand on me délivre de "derrière"..
"Et vous, vous faites quoi ?"
Rien, puisque rien n'est à relater.
" Tu sais très bien que tu n'existes pas ?"
Il appuie sur les mots, le regard fixé sur mes lèvres liées par son mépris.
Alors, le livre qui contient tout.
Je l'ai ouvert pour fuir.
Je l'ai parcouru, loin des injonctions. Je n'ai plus tendu mon bras. J'ai arraché le pansement , l'écharde qu'elle y plantait.
J'ai trouvé d'Avila et j'ai pénétré dans mon jardin secret.
C'est un parfum qui s'est levé pour écarter les haleines des caveaux qui tentaient de me happer.
Mon corps s'est délivré de la femme décharnée, stérile.
Mon corps a enfanté. En étranger. En couleur, avec un étranger.
Un disque tourne. Iggy Pop. The Passenger.
Et le jour se lève.
La Robe aux allumettes . L.C
EMILY. LES HAUTS.
Inaugurale. La Robe.
Tant d’années ! Alors sortir du silence. Venir là où s’épuisent les mots.
Noir, froid est l’océan qui bruisse en moi, au plus profond. Sourd, lourd des amortis aux battements de mon cœur. Au plus enfoui qui bat la mesure de l’attente. Qui combat. Qu’un relâchement survienne et tous les détours se greffent aux notes sombres de l’angoisse. Sombres, où s’enroule en secret le spectre de ce que l’on appelle comme une quête, dans le désir d’intégrer un récit, une histoire, quelque chose de plus soutenable. Je dirai une ligne cohérente pour fuir les désordres qui collent à la peau et font suinter le manque.
Fuir, gagner le couvert d’un âge sans couleurs, sans odeurs, qui se perdrait aux confins d’un temps qui ne correspondrait plus aux aspirations qui nous conjuguent.
Retrouver l’absent qui tarde à apparaître, parce qu’il reste sourd aux appels, n’entend plus les signaux que nos nuits lui divulguent, dans l’alphabet secret des parfums enfouis de l’attente.
Parfums au goût d’écorchures.
Les écorchures d’un fruit qui appelle sa maturité, son alanguissement, sa délivrance.
Car le fruit chute, lui, quand il a terminé la longue courbe de sa maturation, bruni par les embruns solaires, piqué par les assauts d’une guêpe rêveuse qui se délecte, un temps, du suc que la nuit attise en ses chants de violettes.
Il chute quand la course est finie dans l’herbe haute et grasse, sur un caillou muet, dans l’eau moribonde d’une mare. Tout dépend des déclinaisons que les saisons lui ont allouées.
Il chute, loin de l’aspiration de tout être à se perdre, à fuir la lente piqûre mortifère d’une étreinte que lui prélèvent, chaque jour, les tours et détours du destin. Loin de l’oubli de l’âme. Loin de la mort d’un être. Loin, dans le silence du mutisme qui l’habite. Loin du vacarme de toute chair vive qui s’agite.
Chute.
L.C La Robe.