BORRADA. La ligne de basse .
« Les mots sont les seuls vainqueurs. » Salman Rushdie
Pour Ian Curtis
C’est une sarabande, un requiem de notes synthétiques.
Dire.
Sous le silence. La rumeur des cristaux de silice qui enregistrent, passifs, l'agitation de mes doigts.
La ligne de basse !
Trouver la déchirure juste qui s'ouvre en moi.
Dire vrai. Dire fort !
Dance !
Crier l'agonie d’un être pour accoucher de soi !
Les liens, de quel ordre cosmique sont-ils faits, quand une ligne synthétique, d’une peau l’autre, ne suffit plus à absoudre toute chair aspirée par la palpitation tenace, cruelle, mais rythmiquement ardente de la mort ?
Régulier le rythme !
Un pouls sous les doigts, qui indique que la chair survit !
Régulier le compte !
Pour dévorer peu à peu, la beauté d'un visage qui s'agite en orgasme, et fait triompher la vie !
Régulier, l'accord !
Pour la cadence parfaite d'une légion damnée, qui avance à grands pas sur la face de l'être !
Ecrase, déforme, ampute, viole ! Comme une orchestration mortuaire, qui de tout temps à fait hurler le monde !….
Et les mots me viennent !
Tadam !
Comme un battement, une survivance !
Un rythme ! dans la bouffée d'espace. Pour me soustraire à la tension mortelle ! Pour épancher toute soif et à jamais !
Une bouffée muette qui va parler.
Aphone, tellurique, en larmes ! Quand hurle et se déchaîne cette même ligne de basse, à déterrer toutes les damnées légions de la terre !
Crève, crève ! Brise leurs tympans d'assassins, d'incultes ! De serials killers de l'absurde !
Crève-les ! Toi ! Contre-poing magique ! Vlam ! Nouveau jab ! Pas dans la dentelle ! Non ! Pas dans la dentelle !
Bam ! Bam ! Tire !
Déchaîne mitraillette du vide ! Eclaboussures à souvenirs !
Eclate !!!
BEYROUTH. L'artificier. Journal d'une maquilleuse.
Hier soir, on est sorti. Une façon de parcourir, une nouvelle fois, mais en arrière, ces instants désormais révolus. Je fume beaucoup. J’ai mal à la gorge, la voix cassée. La fatigue, hier, toute la journée, sous les explosions de ciment : trois bombes de Réda, l’artificier iranien, qui me salue chaque matin, à trois pas de moi , sans me toucher, en s’inclinant respectueusement.
L’autre nuit, j’ai dû le surprendre d'une façon qui me dérange encore.
Il manquait de petits sacs de plastique pour loger ses explosifs. Il fallait les cacher sous les pierres, dans les branches, dans les murs du décor, et sur les comédiens eux-mêmes. Il est venu vers moi, car dans ma malle de maquilleuse, il y a de tout : du tapioca pour les fausses brûlures, du latex pour les rides et les blessures, du dissolvant, des brosses à dents pour les dents sales, des brosses à cheveux, à ongles, des bigoudis chauffants, du sang, des fards, de la poudre noire pour salir les ongles, des fausses larmes, de la gaze, des faux cils… , et ...... comment appeler ça ? Des doigts de latex pour toucher anal ? C’était P. qui me les avait donnés, pour se mêler à sa manière, à l’efficacité de mon boulot… ça ! Pour se greffer sur les vêtements des comédiens, à l’envers, remplis de faux sang, avec un petit détonateur, dans le cas de tirs de balle, pour faire croire que le personnage était touché ! Et voilà que j’ai ça dans les doigts, pour prouver toute mon efficacité à ce musulman grave, austère qui m’a jeté un regard !!! Je venais, dans mon ennui et dans l’attente de la nuit qui se prolongeait, de me poser des faux cils, des extensions de cheveux, pour ne pas m’endormir et rester active ... Je me suis retrouvée, dans la fatigue et l’irréalisme de la situation, dans la peau d’une occidentale dévoyée ! Enfin, j’espère qu’il prie pour moi, car c’est bien dans ma loge, (ou ce qui en fait office), qu’il vient chaque jour, étendre son tapis de prière !
Image 1 : mon maquillage effets spéciaux sur le spieds de mon comédien
Image 3 : Majdi
Image 4 : ce qui faisait office de mon espace make-up, là où Réda posait son tapis de prière.
BEYROUTH. Les fleurs blanches. Journal d'une maquilleuse.
Beyrouth. Mayfair résidence. 11 novembre 1998.
Les fleurs non plus ne tiennent pas dans l’eau. Elles se fanent dès deux jours. Il a plu aujourd’hui, on a fini tôt.
J’ai marché dans Hamra. La température a baissé et avec la nuit qui vient si vite, les flaques d’eau, les trottoirs cabossés et inondés, l’automne semble là, comme une page tournée. Nous sommes loin des premiers jours et des chaleurs étouffantes et moites. Je me reproche mon chagrin, ma mélancolie. Toujours s’obstiner à vouloir retenir les choses ! On ne les espèrent plus, elles reviennent d’elles-mêmes, comme une revanche !
Il a fallu qu’ici, je retrouve au sein de l’équipe, un témoin de mon passé ! Quelqu’un que j’avais croisé, quinze ans plus tôt, à Paris, sur le quai du métro. Il connaissait le compagnon qui m’accompagnait, avait travaillé avec lui dans un laboratoire de post-synchronisation de Levallois-Perret. Il m’a reconnue, dès le premier contact, dans ces murs de la production, le palais d’un ancien chef d’état libanais. Ici, moi dont l’image s’était ternie avec le temps, moi qui ne briguais plus aucun poste de première assistante à la réalisation, qui ne jouais plus dans les films auxquels je participais, moi qui avais quitté la scène rock à la suite du suicide de notre bassiste, moi qui avais gagné les coulisses comme on gagne l’oubli, erré affectivement jusqu’à la rencontre du père de ma fille que j’avais congédié. J’étais là, à Beyrouth, dans une ville défigurée pour y cacher mes propres balafres, et chercher une reconstruction possible à travers ce travail de camouflage, d’embellissement, de travestissement des visages.
Maquilleuse.
Et le voilà, lui, devant moi, avec en mémoire, la beauté que j’avais perdue.
Fragile, attirant, parce qu’en possession d’une image oubliée que je voulais reprendre !
Ce ne fut pas facile. Les choses étaient parties de si peu. Ces choses que je ne voulais pas.
Travail oblige !
C’est l’état dans lequel nous étions, qui les a fait naître. Un état de bouleversement intérieur et de fatigue. C’est là, que les pulsions se font vives. Je pense aux tableaux de Bacon. Il a raison, c’est là, dans cette arène circonstanciée par l’urgence, le qui-vive, le bouleversement de nos habitudes à vivre, que les choses les plus fortes s’expriment.
Il pleut ce soir sur Beyrouth. L’orage, le ciel gris sombre. La ville n’en devient que plus mortelle, plus détruite, plus excentrique, inégalable de laideur et de désordre.
Ce soir l’avion décolle, passe très bas dans le ciel de la ville. L’aéroport n’est pas loin et l’ami retrouvé repart. Il quitte le tournage. Avant la fin. C’est rare, mais l’ambiance est insupportable.
Ce soir, j’écris parce que je m’ennuie. Je m’ennuie du trouble qu’il faisait naître en moi, libérée pourtant de ses inégalités de caractère. C’est le calme plat. Enfin s’est apaisé ce questionnement inlassable autour de toute cette histoire, cette complicité qui était plus forte que nous. J’attends maintenant que le film se poursuive. J’attends désormais en attendant, car on avance très lentement. On tourne très peu de plans.
Hier soir, j’ai accepté de sortir, pour ne pas attendre, ne rien attendre et puis, il y a eu ce coup de fil, son coup de fil, inattendu comme lui, irréaliste comme lui, sur le portable de Fredo, assis tout près de moi. Dans le brouhaha de la boîte, dans le tumulte qui se faisait en moi, j’ai retenu peu de choses, que je gagnais la sortie pour mieux saisir sa voix, l’adieu, … et seulement l’image des lumières colorées rouges, dehors..... le son des voitures qui passaient…
Le reste, j’ai emmuré.
Mes jours maintenant sont remplis de clignotements colorés, de sensations chaudes et ardentes aussi mystérieuses et majestueuses que celles de la calligraphie arabe qui sous-titre les films TV, ou s’agite sur les panneaux de la voie rapide qui mène à Djounieh.
A l'envers doit se lire l'écriture arabe, comme on retourne des pages, comme on retourne les cartes, comme on remonte pour relire différemment, et sous de nouvelles lueurs, les événements de la vie.
Je déambule dans les rues de Beyrouth cherchant à exorciser l'instant. Je reste persuadée que rien n'est fini. Qu'autre chose commence. Je quitterai cette ville un jour et bien d'autres fois encore, demain, tout à l'heure, chaque fois que je sentirai ce grand silence en moi, ce rien, ce plus jamais.
Heureusement, que j'ai me fleurs blanches qui se fanent si vite dans l'eau.
Heureusement, que leur parfum emplit si fort l'atmosphère du soir. Heureusement, qu’elles m’enivrent et me guérissent d’un parfum sucré qui ne me lâche pas !
Dans la poussière du décor, le bruit des voix désaccordées, demain, je plongerai, je chercherai l’oubli.
DIRDGAYA. LIBAN SUD. Journal d'une maquilleuse.
Beyrouth, le 5 novembre 1998.
On est tard, ce soir et beaucoup de choses se sont passées.
Dirdgaya, le Liban Sud, logés chez l’habitant. Une douzaine à prendre la douche, le matin, dans la salle de bain, chez un particulier. J’ai maltraité mon assistante. Pour marquer une différence hiérarchique suffisante et inutile, lorsque nous avons choisi notre chambre, j’ai pris le lit, la conviant à dormir sur le matelas, par terre. C’est la typique minette libanaise. Lèvres surinées d’un crayon brun très foncé, sourcils hauts, bien dessinés, silhouette ronde dans un pantalon serré, bottes à talons compensés, sac imitation Docce Gabbana. Je ne sais quel travail elle va me pondre ! En tout cas, elle a un air d’Anna Magnani (en blonde), un rire en cascades qui ne sont pas là, pour me déplaire ! Et pour comble, une belle paire de seins !
Je reste cependant froide, distante, car je sais qu’en très peu de temps, elle va prendre le dessus sur moi ! Technique oblige.
J’ai lavé mon linge, la maison était déserte. Tous étaient descendus vers le centre du village, pour le repas. J’ai tardé, profitant du silence, observant, à l’écoute des bruits de la nuit, les terres arides alentours, et puis j’ai rejoint l’équipe. On m’attendait. Le fait de venir de Paris, et après les essais brillants que j’avais passés, je bénéficiais d’une aura particulière qui s’est bien sûr détériorée les jours suivants, avec mon caractère et le désir fortement marqué de n’engager aucun lien particulier avec un homme. Travail oblige.
Je me souviens de cet instant passé, sur la terrasse d’une inconnue, lors d’une petite promenade dans les rues, avant l’arrivée fort tardive des plats. Elle m’avait invitée à monter chez elle, car je m’échinais à cueillir un rameau de jasmin qui était trop haut pour moi ! En quelques minutes, j’en avais plus que je ne le désirais ! Il embaumait ! Nous nous sommes reconnues, malgré la différence de nos origines, de nos traditions, au bout de quelques phrases que l’on me traduisent alentours. Nous avions compris toutes les deux, que nous étions seules avec un enfant. La même que moi, ailleurs, dans le Liban sud, près des zones de combat !
On entendait dans le soir, des tirs, au loin.
Nous avons eu un sourire complice puis, ensemble, nous avons tourné le regard vers le même horizon.
La nuit. La nuit embaumée de jasmins.
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Le tableau était là. Merde ! Aïe !
Devant elle ! Là.
Au cœur de ce musée de Modane.
Un Sphinx. En question. L’énigme. Comme une crucifiée poule. Une pythie mollusque. Un Sphinx, larguant, maintenant, en désordre une expression phallique entre chien et loup, pour déployer sous ses yeux endoloris, tout une constellation de spasmes, lui diffuser une exacerbation, un bouillonnement de formes à ankyloser les rétines !
Elle le reconnaissait ! Maintenant ! Merde !
Ces trouées de sensation qui giclaient raides ! Sur ses tempes nouvellement kryogénisées de formol ! Le tableau ! Soudain ! Comme quanta d’énergies malignes et délétères, distribués de façon aléatoire sous les coups de chiffons !
C’était tiré de la photographie ! La photo ! Et ça reproduisait de façon criarde une faute panique de composition !
Elle se retrouvait plongée, soudain, involontairement, dans les réseaux d’une scénographie morbide, où son propre corps ! Là ! En morceaux ! Semblait être expulsé de tout vrai lieu ! Impuissant à se recomposer sous la charte d’un regard ! Et ça se débattait ! Dans les déchaînements physiologiques du souvenir !
Putain d’ rat ! Putain d’ rat ! Où le vin avait versé ! La tâche ! Là ! Sur la moquette !
Rouge ! Rouge ! Rouges, rouges, des fleurs ambrées de vide qui dérobaient à l’espérance un morceau de conscience … et bouffaient la toile ! Comme animales !
Il … son col… droit dans le vide. ..
Ni le peintre, ni le photographe n'avait respecté la section d'or. Aussi, sous toutes ces empreintes à main nue ! Ce couteau, sale, pointu, planté dans le fruit … Une poire ? Une pomme ? A quelques centimètres d'une croupe féminine offerte ! Son corps à peine sorti d’adolescence ! Ses reins neufs déployés ! Sous toutes ces traces collectées aux zones empuanties de l’homme et de la bête ! …Et la figure ! En va et vient ! S’exhibant du couteau ! Putain ! Ce couteau ! Décalé outrageusement, du centre de l'image ! ! Pas de section d’or ! Pas …
Le couloir… à deux pas… station La Chapelle ! Ventres à toisons cérusées.
Comme accords dissonants de diastoles et systoles ! Paf ! A ses tempes ! Une sarabande effrénée ! Un tango endiablé ! Tadam ! Ta ! Tadam ! Merde ! Ne criait rien d'autre que la grossièreté ! L'obsession sexuelle et maladive de l'auteur ! Plaquée, là ! Comme ça, brut ! Sur la toile !
Puis, soudain, des crissements de pneus ! Les mêmes ! Fait pour souffrir une polonaise ! Une polonaise ! Chopin ! Tralala !
Quand l’aube ! Chargée d’étoiles de feu… déchargea à plein poumon ! Merde ! Où t’étais, Sender ! Rien moins qu’en partance !... La dernière respiration qu’elle venait d’imprimer ! Son souvenir !... La fille au cul de rousse !
Photographe ! Lui ! La figure s’exhibait du ventre inconscient des miroirs comme une interpellation occulte ! Cette hallucinante figure d’un type post-soixanthuitard ! Gueule couverte de mousse à raser pour lui ouvrir la porte ! L’antre ! A lui qu'Iléna ! Fort longtemps ! Longtemps ! Rapport Hite ! Loin ! loin ! Maintenant ! Offert sa virginité. Vingt ans ! Intonations, rythmes ! Ritournelles ! Lola ! Loly ! Ta ! Tadam ! Mais pour ses potes ! A l'université ! Vierge ! Cet âge ! Les faisait rigoler ! N’avait pas compris ! Léna ! Que ces cons en bavaient ! Salauds ! Ordures ! Alors ! S'en débarrasser. Lui ? Un autre ? Il avait la trentaine. Lui avait proposé de poser. Des photos. Après la fac… Alors ? . Depuis, deux décennies plus tard, aucune autre création n'avait été produite par l'auteur. Il était esthétiquement mort.
Elle ferma les yeux, se replia dans le silence, tourna la page lourde, comme un blindé sur le passé, et gagna la terrasse inondée de soleil.
Rouge son éclat comme un raisin qui coule et se répand sur toute chair dans l'écho
ASSASSIN.
Le son victorieux du torrent non loin, sa rumeur envahissante et tonique qui semble venir se répandre comme une eau neuve, fertile, riche en promesses d'avenir ! Cette eau à boire, pour guérir, se relever, repartir, croire, croire encore que le temps reste !... Quitter ce mauvais rêve, ce scénario pervers…Quand, sur la fragilité des pétales !! N…oooon !!!!
Lyot s’écroule sous l’impact d’une OTAN 7.62, les yeux grand ouverts sur le ciel d’Austerlitz, où plus aucune constellation …
"C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir."
Louis Ferdinand Céline
Image empruntée à David Cronenberg. Le Festin Nu.
Coeur bleu. Cyanose.
Dans la chambre de ses adolescences, GLolaB avait une armoire secrète, où toutes les étagères avaient été aménagées pour ranger ses livres. Un miroir pour s’évaluer quand elle s’habillait, un petit pouf pour s’installer et lire.
Très souvent, elle refermait les portes du petit placard sur lequel, chaque mois, elle inscrivait la phrase d’un ouvrage qui l’avait marquée. Au marker, sur un immense papier canson blanc, la phrase devenait son slogan affiche qu’elle pouvait consulter depuis son lit, quand elle s’éveillait.
Celle qui resta la plus longtemps accrochée, fut la citation de Camus, Caligula :
« Tu l’as connais toi la solitude … »
Dans le petit placard, les portes refermées, là, elle s’isolait des brouhahas de la famille qui ne la concernaient pas. Ses frères, leurs motos, les booms et les copines ; ses parents, les problèmes qu’ils rencontraient, en boutique ou sur les chantiers. Elle refermait la porte, elle fermait les yeux et elle se parlait.
Qui est-ce qui pouvait bien lui manquer ?
Des années plus tard, bien plus tard, il fût question du syndrome du faux jumeaux. Elle fit même une cérémonie pour couper le lien karmique et le laisser partir.
Dans ce rituel la personne qui la guida, lui révéla qu’il s’appelait « Gérard ».
Dans cet appartement des sept deniers, encore adolescente, il lui arrivait de passer plus d’une semaine sans ouvrir la bouche, ni parler lors des repas. Et personne ne s’en apercevait. C’était un pari qu’elle se faisait. « Est-ce qu’ils vont s’en apercevoir ? ».
Non. Ensuite, elle se levait, mais avant de quitter la table, aidait à débarrasser, ranger. Car c’était elle aussi qui, le soir en rentrant du lycée, rangeait toute la maison que sa mère avait laissé en bataille, pour vite aller prendre le bus et partir travailler. Sans oublier de faire sa halte chez la coiffeuse, car il lui fallait toujours un coup de peigne dans ses chignons fanfarons.
Donc, avant de se pencher sur ses devoirs qui l’attendaient, elle rangeait, nettoyait, briquait afin que sa mère en rentrant puisse souffler. C’était devenue une telle habitude, que cette dernière ne s’en apercevait pas, et ne la remerciait pas. Les injonctions continuaient sur les tâches à régler pour le repas du soir.
Est ce qu’elle saura raconter, combien, un an, après le tournage de « Coeur bleu » avec Gérard, un cataclysme est entré dans son
ventre pour transformer le coeur diffracté de lumière sur une pellicule super 8 gonflé en 16, en cette maladie bleue qui provoque une coloration de la peau des lèvres, des gencives et des zones autour des lèvres et des yeux, parce que le sang pompé du coeur et des poumons ne contient plus assez d’oxygène.
ST PERES. MA BOUCHE.
Dis moi ma bouche, dis à ma bouche dans le noir, dis de ta langue dans mon souffle, dis les appels que mes mains font naitre quand je caresse au creux de l’aine, le poids de celui que tu me donnes, en me disant « il t’appartient ».
Dis-moi ma bouche, où j’entends la voix que j’ai puisée en d’autres temps, que j’ai volée, que je devine, avec les intonations de ta chair.
Car nos touchers ici, sont ceux des aveugles.
Des aveugles qui se cherchent et se déchiffrent sous la cambrure de tes reins, dans le noir. Je caresse, je cherche, me frotte et me répands sur ta peau que je tire, étire de mes dents, à t’arracher l’élan, à t’arracher des draps, à inventer des cris comme des boules qui sont des poings, mes poings, pour t’incarner sous les miens.
Et lui, « il t’appartient » tendu je le plonge dans ma gorge, je le goûte, je va je viens, jusqu’à ce que mes doigts écartent la chaleur de ce creux, chaud, aux poils que je devine, chaud qui s’ouvre comme une petite chaudière intime où tu vas me dire : je vais venir, « je vais faire ... » et je te réponds « non, tu n’es plus un bébé », en te mordant la bouche, ma bouche pour aller boire le bord de ton oreille.
Elle écoute la plaie de mes lèvres folles là-bas, au creux de mon ventre, qui fait boum, se frotte à la veine de ta verge, là-bas, qui fait boum .
Je sens le battement de ton coeur, j’écoute ta poitrine, je frotte là-bas là-bas, la glande petite folle, qui gonfle sur la veine de ta verge.
Boum !
« Ça brule ça brule » je te dis ! c’est du feu ! que je t’appelle ! Éteins, éteins ! tout comme celui qui se lève, s’agite, je le devine qui cambre tes reins, fort, fort ! et toi aussi ça brûle, je le sens à mes pieds sur tes pieds qui se dressent ! Alors, je vais l’éteindre de toutes les eaux de mon corps.
Chaudes de la lueur qui plissent tes yeux.
En m’y plongeant, j’appuie, me couche, jusqu’au poids de tes cuisses.
« Il est à toi» tu dis ! « Il est à moi » je chante ! Et, je le glisse fort, loin profond, loin profond, au coeur là-bas qui pulse ma vie quand tu me prends, me plaque, au mur, au coin, au lit, au sol, au secret des jardins. La vie. Quand tu me prends.
Et je m’élance, seule, aveugle, sans toi, la rue ! « il est en moi » ! je le sens, tout chaud comme un croissant, tout chaud ! Il a percé l’arrière de mon train, ouvert, tout ouvert ! Sous le chant de l’oiseau du petit matin, celui qui t’appartient ! et je le sens, vivant ! Une petite vrille musicale et stridente comme l’oiseau ! et il me porte, il me propulse aveugle, sur le tranchant du jour ! et je t’achète des fleurs.
Je te couvre du souffle des nuages là-haut si haut ! très haut ! Je te couvre des pétales du jour aussi lumineux que ton sperme qui gicle là-haut très haut, au souffle des nuages !
Je le bois.
Il m’habite le trou, il m’habille, m’agite là-bas ! Je ne peux rien faire, qu’ouvrir ma bouche comme un cri ! Ronde, ronde, ma bouche sur ta bouche, pour te dire, dans l’eau sifflante qui s’enfuit de mes cuisses, quelque chose qui appartient au monde sourd des batraciens, des grands monstres immobiles qui ont précédé la vie, et qui habitent toutes les pages fines des bibles, qui font éventails à nos peaux.
Ma vie.
C’est le petit trou que je t ‘offre au matin pour ton sexe. Il t’appartient. Prends-le et pénètre le, jusqu’à me redresser sur ton ventre, que mes seins se déchirent dans tes mains.
Dis-moi ma bouche, ce langage que tu retiens, raconte-moi ma bouche, raconte-moi, livre-moi fort, l’agitation que je fais naitre, heureuse, heureuse comme une enfant nouvelle, donne-moi, chaque fois ma bouche, ma bouche le cri que je devine, que je te vole comme un secret dans mon petit matin.
Quand moi du bout de mes lèvres à tes lèvres, je leur dis : merci.
Et si quelquefois, je pars me cacher loin, loin, dans le silence, c’est pour laisser, les bouches, d’autres bouches te raconter, t’inventer tous les mots que je ne sais pas dire, mieux, plus fort, plus, plus, plus que ma petite bouche à moi qui aime tant mordre la tienne et l’imaginer sous mes doigts.
Alors, pour calmer l’ennui, j’écoute les grands oiseaux qui m’apaisent, me murmurent de toi.
Les cloches sonnent, annonçant le matin sur une voûte, où dort le gisant d’une femme, devenue sainte pour n’avoir pas voulu que son époux la touche.
Je me demande comment elle fait ?
Ma bouche sur ta bouche ma bouche , lèche, apprend, au petit jour, dans le noir, tous les sons sourds des sacrilèges.
Elle rit, elle rit d’avoir pu taper sur les touches, ma bouche tous les mots que tu lui inspires et qui montent vers toi, vers toi, c’est drôle c’est le titre ! « l’appareil à ...» .
Illustration : "Extase", 1933. Gustav Machaty.
LUZ.2
Ho hisse
Ho hisse
Mais je ne comprends pas on t’a enlevé ton travail !
Viens monte, maintenant que tu es réveillée
Bois tête on va monter fouler es herbes du jardin aux buttes
Petits pieds sans souliers
Foule nus les herbes
Tu apprends à marcher
Pam
Pam
Font les mains de la marionnette du théâtre d’enfants
Pam
Pam
Maman je veux monter sur l’âne et les clochettes
Je veux grimper sur la charrette, que tu mes suives
Ça monte et descend près de la cascade
Elle est rugueuse la pierre à la butte
Elle est rugueuse ne t’écorche pas
Mais non ça y est
ça saigne tu pleures
t’es tombée
Viens on va se soigner
Agnus dei qui tollis
Et descend le premier des pommiers d’Asturies
Je te mènerai là aux fleurs qui se détachent elles vont donner du fruit
Je te mènerai
Nous descendrons la pente
Courant nous lâchant pas la main
Courant au même âge, le temps même couleur
Nous portera dans l’arcade d’un arc en ciel
Et dans la nuit du jardin tout près du citronnier
Contre ton père grand
Ce petit vieux qui pleure du souci de te changer les couches
Et tout près du citronnier qui sent fort fort la nuit
Dans les voltiges des élans des eucalyptus qui dorment
Il te montrera là bas
Comme le notre feu qui chauffe qui chauffe
Comme un coeur brûlant qui t’ouvre sa chair pour que tu ne pleures pas
Il te montreras là bas
Les feux de la St Jean qui font écho et s’allument.
Regarde, regarde
Un autre un autre qui répond dans la nuit et te fait ouvrir grands les yeux vers l’espérance
Maman montre moi le livre
Apprends moi lles lettres
Bé
Bé
« B » tu vois c’est une autre lettre
Regarde une barre une ronde
Regarde apprends cherche là sur la ligne
Et ton petit doigt se pose sur la lettre
« B »
Bé
Bé
Un autre !
C’est l’histoire
Dors, écoute
C’est l’histoire d’une puce tiens ! qui a attrapé une puce
Ça doit être drôle tiens
Une puce qui se gratte !
Plus minuscule qu’une puce et qui se cache où
Devine
Tu sais ?
Et je glisse mes mains dans tes cheveux
Pus fous que les miens, j’ai gagné !
Encore plus fous et indomptables que les miens !
Gagné !
Je les glisse entre mes doigts
Les roule si fins
Bé
Bé
Qu’est ce qu’ils sont doux quand il effleurent et prennent confiance sur ma joue
Je sens ton odeur
Bé
Bé
Je te respire tu me nourris
Il y a lait compote et bonbons
Je te pose en poussette, on va faire les courses
Accroche-toi bien
Tu n’as pas froid ?
Tu fais non de la tête
Pot monnaie maman
Pot monnaie
Qu’est ce que tu veux t’acheter ma Luz
Des bonbons ?
Tes yeux s’ouvrent grands dans les miens
Maman
Des liv
Des liv maman
Montre moi, glisse mon petit doigt
Apprends moi de lire.
C’est doux ton petit corps contre le mien qui s’endort
C’est doux il me respire il se calme et calme mon coeur
Qui souffle l’angoisse
Pourquoi m’ a t-elle retiré le travail ?
Comment vais je nourrir et calmer les flots de cris de l’enfant
Il ne comprend pas
Où je l’ai jeté au monde
On monte!
Elle est lourde la poussette, on monte, il faut que tu dormes maintenant
Dans le cliquetis des jouets qui distrayent ton regard t’apprennent les formes et les rondeurs
On monte l’avenue qui passe tout près de St Serge où j’aime t’amener respirer l’encens
C’est une langue qui nous ouvre au mystère des prières
La course d’un traineau lointain que ta grand mère rêvait pour toi
Te couvrir de pelisse et dans la folie des neiges heurter heurter la course du temps là-bas
Toi ma peau brune
Elle n’a pas la même couleur
La blancheur des neiges et les sonorités de slaves qui cloueraient le bec à la pharmacienne
Elle pose ses doigts griffus sur le froid de sa balance
Be
Be
Grandit
Be
Be a pris du poids
Be
Be
Ne plonge pas encore dans l’eau des petits nageurs
Mais
be
Be s’est fait de amis
Et du bout de sa pelle dessine déjà ce qu’elle voudra du palais des grands
Pam
Pam
Frappe des mains le guignol du jardin des buttes
Pam
Pam
On ouvre une autre scène
On quitte Paris
C’est trop difficile loin
Regarde si c’est joli la petite place qu’ouvrent les lauriers
Regarde la grand rue qui te veut
Tu défiles pour l’augurer
On est bien là
Plus de portes de métro à enjamber haut la poussette les portillons qui coincent et les passants qui nous courent dans les pieds
On est bien là sous la comptine de cloches
Tu vas gagner l’école
Maman je vais apprendre les livres
Et tu remplis ton cartable de tous ceux qu’on t’a donnés
Où tu vas comme ça chargée
apprendre à vous rattraper
Pam
Pam
Vite vite la cloche et les enfants que tu rejoins pour jouer
J ‘ai un amoureux maman
Comment déjà ?
Oui
Et qu’est ce qu’il fait son père
C’est le fils du charcutier
J’éclate de rire
Ah non
Écoute la puce qui saute sur sa puce et lui gratte le dos
Je n’aime plus l’histoire
Trouve en une autre
C’est l’histoire des couleurs des petits animaux
Viens on va apprendre les couleurs
Rouge le coq qui ouvre l’arène et
Pic
Pic
lève sa crête vers un chien
Wouah
Wouah
Écoute comme il t’accompagne, combien tu le tiens en laisse alors qu’il est tout petit tout petit
Qu’il te lèche
Tu sens c’est humide dans ta petite main un cookie
Et un instant il te mange la bouche de son museau noir et pointu comme une perle
Oh qu’il est joli ton collier ma Luz
Oui il est bien dans la robe turquoise en decolleté v
v
v
Maman je peux ouvrir ce bouton
Là
Là
Mais tu ouvres ton décolleté ma Luz
Oui c’est là que les hommes quand elle me porte
Regardent la peau de mamie
J’en veux moi
Je veux un corps de rêve
Maman mets moi du rouge à lèvres
Tu veux ?
Oui comme toi
Donne moi ta sucette
Calme le babil de tes lèvres je pose le raisin
Et te voilà maman QUI POUSSE TA POUSSETTE
ET UN ET DEUX ET TROIS
LA collection de tes enfants
Pou
Pee
Pou
Pee
Regarde elle fait pipi celle là
Quand je lui donne le biberon
Sens comme elle est bonne la corolle
Que tu m’as offerte au bon marché
On sent on plonge toutes deux sur le froid de la peau ronde des joues de tes poupées qui nous aiment de leurs cils plantés
rond
des yeux de porcelaine
confiantes confiantes qu’est ce qu’elles nous couvrent de l’amour qu’il faut pour poser les pieds
Un
Deux
Un
Deux
lâche les petites roues
Àh y est !
un
Deux
Un deux
Tu t ‘élances
Un deux de rayons des vélos aux roues des patinettes
Que je suis fière ma Luz
t’es douée
Douée
Bien plus douée que moi
Et on se regarde on rie on s’aime
On est deux maintenant deux à s’élancer ensemble dans la course où tu vas continuer
grandir
Ton regard est beau sous le grand cèdre qui nous protège
Ton regard est beau j’aime m’y plonger tellement
Pour te couvrir de baisers
Je vais te manger tellement je t’aime
Tellement je voudrais te remercier
De quoi
Maman ?
Des bonbons que je tends que tu aimes
De ce bonbon que je prends et soulève
Ta tête petite petite crève l’immensité du ciel
Je te soulève fort là
Notre dame
Je sens le pli de ton habit nous entourer et je pleure
De la douceur qui nous rassemble comme une ronde de rubans
Les rubans que ma mère au matin attachait en deux couettes mes cheveux pour fermer le cartable et aller moi aussi apprendre à étudier
Étudier
La rondeur de tes traits
Étudier les apprendre les yeux fermés
Et puis du crayon les reporter
Apprendre la couleur comme toi pour remplir les formes
quand le petit coq rouge saute sur le dessin
Bleu
LUZ
1/ La bulle.
Dans la bave des salives,
sur le fond sonore des orgues qui montent des clameurs du ciel,
en va et vient d’un pas agité
calmer calmer secouer doucement éviter
les roues d’un landau.
Dans la bave de salive
bulle
adorable rondeur de nacre d’une bouche qui vient d’ouvrir
Deux syllabes comme deux notes viennent
Pa
Pa
Juste juste articulées.
Premier mot.
Comme elle est belle !
Je la regarde au creux de la bascule faïence de la pharmacienne
Comme elle est belle !
Combien elle pèse ?!
On se ressemble !
Madame non, vous n’avez pas la même couleur !
Pa
Pa
Sur ses jambes !
Regarde regarde,
Ça y est ! Elle s’élance ! Elle affronte l’équilibre pesanteur !
Regarde ses petits pieds !
Potelés potelés qui s’ancrent !
Viens !
J’ouvre les bras.
Pa
Pa
C’est le premier mot, apaise-toi
Le premier mot que prononce un enfant !
« P » c’est plus facile !
J’aime pas mes pieds !
Je les adore.
Montre !
Je voudrais les mêmes.
J’aime pas mes cheveux !
Non, pas
Je les adore et les trempe dans l’eau des baignoires,
Ton corps étiré dans le bain,
Passe le peigne de crème grasse afin de ne pas les tirer.
Pa
Pa
Pa
Pa
La grande eau où l’on t’a plongée !
La nuit,
Dans les champs des flambeaux qui crevaient
la nuit,
Et la pupille de mon oeil !
Tes paupières closes plonger confiantes dans l’eau, te porter.
Pa
Pa
Je ne voulais pas !
Dans la tulle de mon ventre
Je ne voulais pas te jeter au monde !
Où l’on viole des bébés !
Dans l’innocente fente
La grosse trique te briser !
Je ne voulais pas !
Tes premiers pas dans
L'aspiration
Pa
Pa
Mâle !
Non c’est une fille ! l’a dit l’aiguille amniotique !
Une fille que je roulerai dans toutes les robes d’attendre brodées !
ç’aurait été un garçon, je te l’aurais volé !
Pa
Pa
Non maman
Je n’aime pas celle-là !
Elle ne me va pas !
Cours !
Oh, que tu cours bien !!!!
Alors j’ai déchiré mon ventre, ouvert des pinces qui sont entrées
Crevant l’hymen enfin cette fois
Je n’étais plus niaise
J’avais un ventre qui giclait
de toi
Dans les pinces qui te tiraient !
J’ai déchiré ma robe, j’ai déchiré mon ventre et j’ai poussé, tiré, jusqu’à hurler te regarder
Regardée !
N’oublie pas ma fille, n’oublie pas ma Luz
Comme on s’est regardé !
Épuisée qu’on me recouse, ouverte de la sonde du liquide et des fils qui refermaient.
Sous ta petite cloche là, toute chaude,
Ce que je ne pouvais encore te donner
Mon sein tiède pour t'apaiser !
Venue en ce monde
où les bébés l’on viole !
Je ne voulais pas je ne voulais pas !
Aussi, je t’ai posée, là, Notre Dame !
Pa
Pa
Tu me tends ton jouet téléphone
Pa
Pa
Oui, quoi ma Luz ?
Tiens c’est pour toi, il veut te parler !!!
Qui ?
Pa
Pa
Dis lui !
Quoi ?
Que ma peau de brune épice
De ses caresses a manqué a pleuré !
Que ma peau en brume métisse
De sa chaleur réglisse
De la force à bras
a manqué !
Tu m’as porté haut maman !
Du plus haut où les tiens me hissaient !
Tu m’as porté haut !
Mais des siens
Je suis tombée
Je suis brisée !!
Pa
Pa
Couinent tous les jouets aux becs de canards qui ricanent !
Couinent les jouets mécaniques, grisent en musique !
Pa
Pa
Tralala
Cette petite berceuse sur ta couche dont je remonte la clé !
Mécanique petite berceuse quand je te couche,
Et que je m’endors près de toi comme un bébé.
Mon bébé qui m’accouche et maintenant
dit
J’ai peur, j’ai froid ça crisse mes pas !
Ouvre moi la voie du monde
Maman !
Maman ouvre moi ! qu'elle me terrifie pas !
Pas
peur
Pas
peur
Je suis là
Il ne s'approche pas ce monde
celui qui tue et mange les bébés !
LA MUERTE
Donc, dans ce que je décris de l’emprise ici, il me semble la voir se reproduire chez lui dans cet accaparement qu’il exerce sur un nombre d’auteurs littéraires ou cinéastes, pour décider qu’il les résume tous, à lui tout seul. Qu’il est l’accomplissement d’un nombre incalculable de génies. Lui ?
Il me semble retrouver ici, cette idéologie de l’image, ce talent à l’utiliser, à la charger de symboliques comme vecteur, construction de personnalité. Ce que des figures totalitaires de l’histoire ont utilisé : Hitler et son impuissance sexuelle, Mussolini et ses malformations physiques, il en est de même ici. Une malformation à écrire, un estropié du langage qui par moment se lève. On se dit : « oui y a quelque chose », mais la phrase d’après, dans la vocifération, il y a perte de sens.
C’est ce qui m’a frappée d’entrée à la première lecture de ses poèmes. On ne peut rester indifférent à la richesse du langage (je lui ai piqué son dictionnaire des synonymes où il puisait les termes et je faisais longtemps comme lui, je récoltais les mots ) mais en avançant plus loin, on ne sait où il veut en venir. Il ne reste que le malaise, la difficulté que cet être qui a failli mourir dès les premières heures de sa vie, (extrême onction du grand père sur l’enfant soupçonné mort)… un mal-être qu’il continue de jeter au monde, mais dans quel but ? Est-ce cela que vous recherchez vous, chez un auteur ? Être contaminé par ses difficultés à vivre, à être compris et aimé ? J’y note comme un désir de vous faire collaborer à une sorte de perversité. Et c’est ce qui m’arrive lorsque je me replonge dans ses lignes. Il y a quelque chose chez moi, qui a collaboré à vouloir faire plier les autres, ses collaborateurs, son public, ma famille, mes frères, à ce malaise constitutif et maladif qui était le sien.
Vous le voyez, quand il termine ses interviews en se jetant à presque 70 ans, hurlant droit devant lui, dans la foule restreinte heureusement, criant sans raison, sans raison ! C’est effrayant ! Être à coté de lui dans ces instants-là, c’est vraiment horrible ! ça contribue à accentuer l’isolement et c’est ce que j’ai décrit dans l’incident de l’interview, sur la plage du festival de Cannes.
Alors, dans cet état de démence hystérique, imaginez le au volant d’un voiture de série, F1 ou F3 sur un circuit ! Il se prend la rampe, sort de piste et youpi ! Finie l’esbroufe 56 qui a décidé d’adopter le slogan : « si je n’avais pas été écrivain je serai devenu pilote » ! C’est du Marinetti, auteur futuriste que très peu de la jeune génération connaissent ! Mais c’est aussi ma famille, mes frères à qui il a dédicacé les éditions de ses poèmes, et qu’il incorpore à son destin, qu’il engouffre dans sa bouche ouverte et qu’il enterre avec moi.
Mais nous ne sommes pas morts.
Par contre, ce que je sais, c’est que lorsque j’en aurais fini d’écrire ces lignes, là oui, je laisserai tomber la pierre tombale sur lui. Là oui, s’en sera fini et je pourrai enfin marcher, m’étirer et respirer auprès des miens, après avoir retiré la dalle qu’il a volontairement coulée sur moi. Mais il ne l’a pas fait que pour moi, il l’a fait sur toutes les femmes qui m’avaient précédée. Ici, c’est une question de travail que je revendique. On n’efface pas le labeur et la participation d’une personne qui a été l’une des premières et la principale assistante de ses premières années de réalisateur. Il m’a coulée vive au béton du sens sur lequel chacun bute lorsqu’on aborde ses sujets.
Cette mythologie qu’il a construite « vaisseaux des morts », « pierre du stlelinskalt », « Z55 », « strike » « terminal toxique », « guerres sexuelles » son geste premier a été de l’inscrire dans l’imitation. Quand je ‘ai rencontré, il s’était approprié le geste de Raymond Roussel. Il m’en parlait beaucoup, de cet auteur qui restait dans un wagon de train et regardait de loin, les villes où il se rendait. Qui écrivait, isolé. Il s’était fait faire un costume dans le même tissu, d’un carreau très chic qui passait à Limoges, mais qui à Toulouse, ne passait plus. Il abandonna ensuite ces tenues pour le pantalon de cuir, les santiags, le perfecto, les gants à la Vince Taylor, et y adjoignit le cran d’arrêt. Mais chacun sait que « l’habit ne fait pas le moine. »
Citez moi un écrivain, un réalisateur qui revendique son identité dans la continuité d’un maître qui n’a plus rien à prouver ?
Il est dans l’Imitation. Finalement, il aurait pu devenir un grand mystique ! C’est peut-être pour cela que je m’y suis précipitée ! La seule imitation que sa mère m’imposait et qui me restait. La porte de sortie, pour m’enfuir.
C’est pourquoi, il était bien pratique, c’était l’aubaine, de faire parler de lui par une universitaire bourrée de références, afin que sans efforts de sa part, sinon ratiociner sur magnéto de faux éléments de biographies, elle lui brosse l’identité.
Elle, qui invite sur les réseaux ses admirateurs à assister à la présentation de son livre, sur projection de « L’Affaire des Divisions Morituri », en affichant le plan de la Rolls, pour laquelle FJO n’a même pas payé le plein. Ceci, au moins, pour remercier son propriétaire de nous l’avoir prêtée: le père du comédien Philippe Sfez, qui n’avait pas manqué de nous le faire remarquer. Si elle veut rembourser maintenant, c’est open !
Oui quelquefois on est un peu petit.
N'ayant pas de photos de mes frères aujourd'hui en pilote, je poste celles-ci, à Gijon, un été dans les Asturies, celui des images captées de Zona Inquinata.