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MEDEE. SENDER.

11 Avril 2020

Chaque sortie de classe était une joie pour Iléna, aucun garçon ne l’attendait. Elle n’aimait pas ces attouchements mièvres et ragoûtants dont les autres raffolaient, et qui les précipitaient dans les bras de ceux, avec qui, « elles sortaient ». Elle avait mis du temps à comprendre ce que dans cette « sortie », il y avait comme démarches circonscrites, passives, le temps que ça prenait pour apprendre à sentir. Elle, elle ne voulait pas le perdre ce temps... et s’y jetait au contraire, bien dedans, de toutes ces forces, pour d’un coup !... d’un regard ! connaître la vraie puissance de ce quelque chose qui n’avait pas de nom !

Elle se dépêchait, elle savait... c’était l’heure !

Seule, elle emboîtait le pas d’un quidam dans la file d’attente, prenait son billet, gagnait l’ouate atmosphère de la salle. Plusieurs fois par semaine, elle venait là, écouter le raffut des images en mouvements, qui parcellaient sa tête de tâches mouvantes et magiques et scelleraient, à jamais, sa perception des choses.

Le premier corps masculin à l’émouvoir, ce fut Jason, je crois !

Oui, ce fut Jason.  

Sans le discerner encore, sous l’empreinte de cette terre rare, ascétique, elle épousa la folie de Médée, s’imprégna des cascades de bijoux, s’en revêtit pour à jamais l’affoler, le surprendre, le fasciner ! Jason !

Comme elle ! Elle voulait le toucher ! Le garder ! Le retenir ! Mère et sainte ! Maîtresse et magie ! Pétrifiée par l’arrogance de ses yeux !

Iléna enregistrait cette tragique beauté charnelle, qui s’offrait nue pour elle, sur le sable lunaire, à l’infini, jusqu’à ces flammes vipérines et jalouses qui s’affrontaient, sacrées sur l’arête de ses pupilles ! Et, cet incendie sur sa bouche, en vertige de figures byzantines. Érythrée ! Érythrée ! Et que gonfle, gonfle la fureur des Erinyes sur le claquement silencieux et lourd, des tentures !

Quelques années plus tard, elle retrouvera cette même sensation, avec « Zabriskie Point » d’Antonioni. Poésie « avionnaire » dirons-nous, sur fond des désastres que l’artillerie, le kérosène, les bombes au Napalm, et bien d’autres boucheries estampillées US, en d’autres paysages lunaires, nous déclinaient.

Mais là, ce visage hiératique, monstrueusement beau de Tosca, toute cette barbarie de sang versé, ces corps aux chevelures de serpent, ce frère distribué par morceaux sanglants, pièces à boucherie, au hasard de la campagne turque, pour couvrir le vol sacrilège de l’amant ! !  Tout ça, pour les quinze ans d’Iléna, c’était encore bien du chinois, pour du pseudo italien ! Mais, l’enjeu était de taille !

Et rien, rien ne l’empêcha de graver, au fond d’elle, la beauté de ce premier grand spoliateur de l’histoire ! Aussi, qu’il lui transmit, lui souffla, au secret, les premières conjugaisons sensuelles de ce qu’elle serait amenée à découvrir … arcanes masqués de la toison magique …  ce fut … dans l’ordre … tout à fait naturel… et voilé … des choses !  C’était comme ça qu’on brûlait d’Eros !

Rien à voir avec les potes qui se faisaient fourrager l’entrejambe par un acnéique excité et maladroit, dans le dépôt aux poubelles de l’intendance du lycée. Beurk ! Non !

Non !…

Novice, elle soulevait le voile sur un sexe ignoré, pubis couvert des crochets d’une araignée de fer, savourait mouvement de cuisses poudrées de safran, membre rigide trempé dans l’or, mangé du feu des pierreries ! Flûtes, harpes, cors, résonnaient à ses oreilles ! Plumes de paon sur faste d’ocelot fredonnaient sous ses doigts ! Elle s’immergeait dans la somptuosité religieuse d’un Héliogabale, en Orestie !

Allez me trouver un Jason, là ! Maintenant ! Tout de suite ! Châtelet, Passy, Montparnasse ? Ouais, là, dans la rue ! Le bus, le métro ! Même, avec un portable redoutable, un Ermenegildo Zegna impeccable, et des lunettes à la Brad Pitt pour vaincre le lourd soleil de Syrie ! ! ! Merde, merde ! J’en veux pas, je me casse, rien, rien à voir avec l’homme, le mâle qui me hante ! ! !

Ce fut donc Jason, le premier à troubler l’hymen d’Iléna, et, à travers lui, l’innommable auteur de cette barbarie filmique.

La photo de son massacre était là, maintenant, sous ses yeux. Le corps, en noir et blanc, méconnaissable. Les traces de pneus… Qu’il avait été aveuglé... qu’il l’avait frappé à plusieurs reprises avec une planche jusqu’à ce qu’il tombe en râlant... qu’il s’était ensuite empressé de monter dans la voiture ... qu’il s’était enfui... et qu’il ne savait pas si en s’enfuyant... il était passé ou non, sur le corps ! Si le sang avait giclé... pour abreuver le sol de la plage d’Ostie !… Sacrificiel ! Il avait offert à la plus horrible bestialité, cet adolescent qui le hantait ! Toute la merveilleuse conjugaison de son esprit et de sa poésie !

La perfection de son corps, la beauté de son visage recouvert de lunettes noires. La virulence de ses prises de positions politiques, sociales, artistiques.

La passion et la volonté rebelle de son verbe.

Héliogabale, quatorze ans ...

couronné empereur.

LYOT SENDER

MEDEE. SENDER.
MEDEE. SENDER.
MEDEE. SENDER.
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